Suicides en grappes de masse

Très actif dans la recherche en suicidologie, le Centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie (CRISE) a rassemblé une importante littérature scientifique concernant la prévention du suicide, et plus précisément ici les suicides en grappes. Nous exposons ici l'essentiel de ces informations pour tenter de comprendre la problématique des suicides en grappes de masse.

Dans la littérature scientifique, on utilise principalement trois hypothèses pour comprendre le phénomène des suicides en grappes reliés aux médias de masse.

1. Hypothèse de l’imitation

   Selon l’hypothèse de l’imitation, une personne qui est exposée via les médias au geste suicidaire d’un individu, peut être susceptible de copier le même geste suicidaire (même méthode, lieu etc.).

    

   Elle tire son origine de la théorie de l’apprentissage social d'Albert Bandura (1977). Cette théorie soutient que l’observation d’un comportement chez un modèle peut favoriser, sous certaines conditions, l’imitation (la reproduction) du même comportement chez celui qui observe le modèle. 

   Durkheim (1973) a consacré dans son livre « Le suicide » un chapitre traitant de l’imitation où il défend l’idée selon laquelle cet effet serait la précipitation d’un suicide destiné à arriver de toute façon.

   Dans les études, l’hypothèse de l’imitation n’est que partiellement validée, 65% des observations infirment l’hypothèse. Par exemple, l’étude de Martin et Koo en 1997 n’a pas montré d’effet d’imitation de la méthode utilisée par le chanteur Kurt Cobain lors de son suicide. 

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2. Hypothèse de l’amorçage

   Selon l’hypothèse de l’amorçage, la présentation dans les médias d’un geste suicidaire peut déclencher chez une personne une tendance suicidaire latente. 

    

   Elle est considérée comme une explication alternative à celle de l’imitation. Dans son modèle, Berkowitz (1984) postule que la présentation des suicides dans les médias peut amorcer ou activer chez l’auditoire des souvenirs, sentiments et tendances comportementales reliés aux suicides issus d’expériences de la vie passée et de sa connaissance du monde. Cet amorçage expliquerait l'augmentation proximale dans le temps de gestes suicidaires dans une population suite à la présentation d'un suicide dans les médias.

   Dans le contexte du phénomène suicidaire, l’hypothèse de l’amorçage n’a jamais été vérifiée ni testée. Par contre, elle l’a été sur des contenus médiatiques à caractère violent. Les personnes observées dans ces études qui ont été exposées à un contenu médiatique à caractère violent ont plus de pensées, d’émotions et d’intentions comportementales à connotations violentes, que les personnes exposées à des contenus médiatiques neutres.

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3. Hypothèse de la vulnérabilité préalable

   Selon cette hypothèse, certaines personnes seraient plus à risque de poser un geste suicidaire en conséquence du traitement dans les médias d’une histoire de suicide et ce, en raison de vulnérabilités préalables liées à des caractéristiques personnelles. 

    
   Selon la chercheuse québécoise Louise Pouliot, cette hypothèse pourrait s’expliquer à partir du modèle de la sensibilisation (Post et Weiss, 1995 ; Post, 1992). Elle fait référence aux facteurs de vulnérabilité du suicide en général. Les sources reconnues de cette vulnérabilité sont les suivantes : avoir à composer avec des problèmes personnels importants, avoir vécu des expériences d'abus et de négligence à l'enfance, et souffrir d'un état psychiatrique. 

   
   

   Les personnes vulnérables ou prédisposées possèdent un seuil de tolérance au stress qui est amoindri. Cette prédisposition est  accentuée par l’exposition répétée à des évènements psychosociaux et aux changements biologiques que cette exposition provoque. Dès lors, ces personnes s’avèrent  plus susceptibles d’être influencées par la stimulation psychosociale que représente une histoire de suicide rapportée par les médias.

   
   

   Toutefois, cette hypothèse n'éclaire pas le processus causal de  la grappe de masse. L'état des connaissances sur la contribution exacte des facteurs de vulnérabilité personnelle au suicide dans le phénomène des grappes de masse est très limité et les résultats sont divergents.

   Cependant, en ce qui concerne les caractéristiques individuelles des personnes s’étant suicidées dans le cadre d’une grappe de masse, il ressort que :

   • Les jeunes de 10 à 34 ans semblent moins susceptibles d’être affectés par le traitement médiatique d’un suicide réel que la population générale (Stack, 2005) 
   • Les femmes semblent environ 5 fois plus susceptibles que les hommes de poser un geste suicidaire en lien avec le traitement médiatique d’un cas réel de suicide (Stack, 2005) 
   • Les personnes ayant fait une tentative de suicide dans le passé semblent plus vulnérables à poser un geste suicidaire en conséquence de la présentation dans les médias d’une histoire de suicide (Zahl, 2004 et Cheng, 2007)